Reproduction d'un article d'Alexandre Hervaud paru sur le site Écrans.fr :
Méconnaissance et pop culture déformante obligent — on pense à la comédie un peu simplette Good Morning England sortie en 2009 —, d’aucuns pourrait penser que l’ère des radios pirates anglaises, dans les années 60, s’est déroulée sans accroc. Que ces atteintes au monopole de la BBC par des stations offshore (basées depuis des navires ou des forts en pleine mer pour échapper à la législation anglaise) peu regardantes sur le droit d’auteur ont eu lieu dans une bonne ambiance, sur fond de Beatles, de Stones ou de Who. Il n’en est rien.
Concurrence, magouilles et traitrises étaient monnaie courante dans le milieu « pirate » comme l’explique en détail Adrian Johns dans son pavé La Mort d’un pirate, dont le sous-titre est représentatif du pedigree universitaire de son auteur : « la société de l’information à l’épreuve des ondes ». Johns, 46 ans, est en effet professeur d’histoire à l’Université de Chicago. Le trucidé dont il est question dans le titre, c’est Reginald Calvert, patron de Radio City (la station est basée sur le fort militaire de Shivering Sands) abattu en juin 1966 par son rival Oliver Smedley, propriétaire de Radio Atlanta. Selon Johns, ce fait divers marquera la fin de l’essor des radios pirates : un an après le drame, une loi (la Marine, &c., Broadcasting Offences Act) est votée pour étendre la juridiction du pays aux eaux internationales en matière de radiodiffusion.
Les radios pirates deviennent dès lors officiellement hors la loi, et les citoyens britanniques les opérant condamnables. La même année, la BBC se restructure pour coller aux nouveaux modes de consommations des auditeurs anglais avec la création de BBC Radio 1, 2, 3 et 4. Débutant façon polar son ouvrage par ce meurtre, Johns revient par la suite sur la création de l’écosystème ayant entraîné la mode des radios pirates, de la création de la BBC jusqu’à cette guerre des ondes ayant modifié à jamais le paysage radiophonique en Europe. C’est en 2001 que Johns se penche sérieusement sur le sujet : alors qu’il se trouve aux Archives Nationales, situées à Kew, à l’est de Londres, le dossier relatif au procès de Smedley est rendu public. Ce pavé de 1000 pages lui permet de reconstruire le fil de évènements mais surtout de plonger dans les coulisses du mondes des radios pirates. Il rencontrera par la suite des dizaines d’intervenants de l’époque, dont la veuve Dorothy Calvert décédée l’an dernier avant la parution définitive de l’ouvrage.
Bien que centré sur un épisode de l’histoire contemporaine fondamental pour expliquer l’essor d’un certain style de musique, que le lecteur ne s’attende pas en lisant la Mort d’un pirate à trouver une exégèse voire une chronique simple des goûts musicaux d’une époque, ni des artistes et producteurs qui les façonnaient. L’ouvrage, extrêmement précis (mais à quelques reprises rébarbatif), s’intéresse en effet plus aux questions politiques, idéologiques et sociales ayant entraîné un chamboulement des pratiques médiatiques. Pour son éditeur, il s’agit d’un « polar scientifico-politico-économico-libertaire ». Comme l’auteur le conseille lui-même dans les remerciements, certains sites (pas toujours au goût du jour en matière de webdesign) retracent cette époque : le Pirate Radio Hall of Fame de John Myers, Offshore Echos, et autre Bob Le Roi.
Signalons enfin que le livre est édité par une toute récente maison d’édition belge, Zones Sensibles, à qui l’on doit donc le fameux navire logo de Pirate Bay en couverture (le site suédois est par ailleurs évoqué dans l’ouvrage, en rapport avec l’épisode Sealand). Les premières pages de la Mort d’un pirate (dont les illustrations d’archives) sont consultables en ligne. Zones Sensibles prépare également l’édition francophone du dernier livre d’Adrian Johns, Piracy, qui couvrira pas moins de cinq siècles d’histoire de la propriété intellectuelle, de Gutenberg à YouTube.
Images d'archives :
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