BANDELETTES
QUEL AVENIR POUR L’ASSOCIATION ?
Commentaire sur la grève des salariés
par Jean-Christophe Menu, fondateur et directeur éditorial de L’Association
13 février 2011
Préambule : je parle en mon nom propre, je n’éviterai ni la première personne ni un certain ressenti. Par ailleurs je n’envoie ce communiqué qu’à mon carnet d’adresses, pas à celui de l’Association dans son intégralité (je ne dispose pas du fichier adhérents). Je suis donc favorable à ce que ce texte circule le plus largement possible.
Durant tout ce conflit, tout le monde n’a eu qu’un “son de cloche”, celui de la “Masse Salariale” (ainsi qu’elle s’est définie) et de leurs divers soutiens. On a trouvé anormal que je ne m’exprime pas à ce sujet : je n’ai pas voulu envenimer les choses. Face à une situation qui s’enlise, je livre aujourd’hui la façon dont j’ai vécu chronologiquement et intérieurement cette grève jusqu’à la date du jeudi 10 février 2010.
Je voudrais tout d’abord infiniment remercier les Auteurs et les Amis qui m’ont apporté leur sincère soutien affectif et revigorant, au sein de la période que je viens de traverser. Je n’ai parfois pas pu tous et toutes vous remercier directement, mais je sais qui m’a dit ou écrit quoi : merci.
Face à la gravité qu’a prise la tournure de la grève des Salariés de L’Association, commencée le 10 janvier, et rendue catastrophique par leur action médiatique à Angoulême, il convient de revenir point par point sur le déroulement des événements, ainsi que sur certaines formulations contenues dans les divers communiqués, tracts et pétitions, qui ont trop souvent relevé de l’approximatif, voire du mensonger, et entretenant délibérément la confusion.
1) Les difficultés financières à L’Association sont apparues dès courant 2009. En 2009 a été amorcée une analyse sur les causes et conséquences de ces difficultés. Nous avons pour cela demandé à une personne de grande compétence de nous accompagner, une journée par semaine. Les conclusions de cette analyse menée de front avec notre expert-comptable (également Commissaire aux comptes) Camille Lawson-Body ont abouti à des conclusions pessimistes. Malheureusement, les difficultés sont plutôt apparues comme de nature structurelle. Si elles ont un temps été masquées par le succès exceptionnel des ouvrages de Marjane Satrapi (qui ont permis à L’Association de vivre quelques années dans l’opulence : embauches généreuses, primes exceptionnelles aux Salariés, augmentation des parutions, livres difficiles, fabrications luxueuses, etc...), la crise générale, et plus spécialement celle du marché du livre, ajoutée à la “fin de cycle” du best-seller Persépolis mettent fin à cette période. Les derniers exercices font apparaître des chiffres en baisse régulière, qui impliquent malheureusement une récession inévitable. Les nouveautés se vendent moins, les frais fixes sont restés les mêmes, voire en augmentation. L’arrêt d’activité pour raisons économiques de notre distributeur Le Comptoir des Indépendants, au-delà des conséquences négatives pour l’Association, renforce ces problèmes. Et si Persépolis et une gestion rigoureuse ont permis la constitution de réserves conséquentes au sein de L’Association, cela fait presque deux ans que le déficit d’exploitation rogne sur ses réserves.
2) La première mesure acceptée par tous a été de diminuer la production, ainsi qu’une partie des livres les plus difficiles et coûteux. Ainsi 2010 a-t-il vu paraître seulement 25 titres, contre une quarantaine toutes les années précédentes. Le programme 2011 s’annonce, si possible, du même ordre. Les livres aux caractéristiques les plus “hors-normes” sont désormais réduits, au profit d’ouvrages moins difficiles économiquement.
3) Durant toute l’année 2010 ont été élaborées des hypothèses pour réduire les coûts. La réduction des effectifs a été évoquée dès le début 2010 et n’a donc pas représenté une surprise. Cette perspective m’a personnellement profondément affecté dès le début. Je tiens à rappeler qu’étant Directeur Editorial salarié depuis 1999, et disposant du salaire le plus important, je me suis fait licencier par le Bureau dès mars 2010.
4) Sept personnes (cinq CDI, un CDD, un 3/5 - je m’exclus de la liste des Salariés même si j’ai continué à fournir le même travail), aux salaires et charges additionnés aux frais fixes, représentent désormais des charges fixes trop élevées pour la structure, au simple vu des comptes et des prévisionnels, que les Salariés connaissent ; mais ils en refusent l’analyse livrée par l’accompagnatrice gestionnaire et par l’expert-comptable, qui tous deux affirment que sans action concrète, L’Association est condamnée, à une échéance courte. Les Salariés ont estimé que puisqu’il demeure une trésorerie relativement conséquente, les suppressions d’emploi envisagées n’étaient pas acceptables. Or c’est précisément cette trésorerie qui faisait que ces licenciements pouvaient être dignement accompagnés.
5) Les suggestions proposées très clairement au cours de la réunion ayant eu lieu le 3 décembre 2010 entre les Salariés, le Bureau et moi-même, ont été : suppression de la distribution en interne (libraires historiques, VPC, futures ventes par le net, site - en voie d’achèvement), car non rentable et remettant en question le poste de Frédéric Van Linden, manutentionnaire et coursier ; externalisation de la comptabilité vu la baisse importante du flux liée à la suppression de la distribution interne, ce qui entraîne en effet la suppression du poste de comptable à plein temps, occupé actuellement par Philippe Reveau. Par ailleurs, la diminution de la production posait le problème de deux graphistes à plein temps (d’autant que j’assume toute la Direction Graphique). Il a donc été suggéré que ne demeure en CDI qu’un graphiste et que des missions supplémentaires soient confiées en externe. Eric Bricka ayant annoncé un congé sabbatique de mars à septembre (congé accordé et signé par la présidente), nous lui avons assuré qu’aucune procédure ne serait entamée avant son retour. Fanny Dalle-Rive resterait donc graphiste salariée. Par ailleurs, Nicolas Leroy, chef de fabrication, avait annoncé son intention de quitter L’Association et de chercher du travail ailleurs, alors qu’il n’était pas invité à quitter la structure. Quant à Marie Chesnais et Carmela Chergui, elles avaient auparavant, dans des entretiens individuels, annoncé leur intention de demeurer à L’Association.
6) Cette malheureuse réduction des effectifs, correspondant à une inéluctable évolution, n’a donc pas été élaborée n’importe comment, mais au prix d’une réflexion vers une structure moins lourde et plus conforme à sa nouvelle actualité et à ses perspectives. C’est la soudaine concrétisation de l’annonce de ces suppressions d’emploi qui a provoqué la colère des salariés, ainsi que le fait qu’il n’y ait pas eu concertation avec eux sur d’autres moyens de procéder à des économies. Il a pourtant été évoqué d’autres solutions ce jour-là par le Bureau, comme la sous-location de la partie du local dégagée de sa partie stocks à un espace d’ateliers de dessinateurs ou graphistes. J’ai même pour la première fois accepté l’hypothèse de pilonner une partie des stocks, alors que j’y avais toujours été philosophiquement radicalement opposé, et ce face à la proportion énorme que prennent les coûts des invendus à notre entrepôt de la Génilloise.
7) L’équipe se sent soudée dans une sorte de projection mentale de coopérative auto-gérée, qui n’en est pas une, puisque j’ai engagé chaque personne comme salarié, pour ses compétences, et pour m’accompagner au service d’un projet préexistant et bien défini. Cette idée d’auto-gestion a également été générée par l’absence d’un véritable encadrement, le Directeur éditorial qui vous parle ayant souvent été absent et n’ayant jamais vraiment assumé son rôle de Directeur Général de fait. Mais L’Association, malgré tous ses défauts, s’est constituée au service des Auteurs et de leurs Ouvrages : la grève récente semble faire passer l’idée de coopérative de Salariés bien au-dessus du projet de base. L’équipe n’a donc pas accepté d’être “séparée”, contestant l’analyse comptable, et donc finalement d’une certaine nécessité de décroissance, qui n’est pas seulement économique, mais aussi structurelle et conjoncturelle, les dizaines de nouvelles structures étant apparues ces dernières années sur notre “secteur” amenant une surproduction massive d’ouvrages pseudo “indépendants”, et obligeant L’Association à se recentrer sur ce qui lui est fondamental : recherche et innovation, accompagnement de l’œuvre en devenir des Auteurs “maison”, découverte et émancipation des jeunes talents, remise en circulation de chefs-d’œuvre de la Bande Dessinée du passé, ouvrages de réflexion sur le médium, etc. Il y a là une ligne éditoriale forte de vingt ans dont je suis le garant, et qui m’empêche moralement de devenir le concurrent de nos copieurs, et un “producteur de BD” parmi tous les autres. (S’il faut le rappeler, je suis à l’origine du projet de L’Association, en ai défini les axes, la position politique, la direction graphique et tout le discours. Même si l’apport des co-fondateurs a été fondamental puisque leurs créations ont fait vivre L’Association, j’ai toujours coordonné cette structure, et ai pareillement continué après l’explosion du groupe). Cette évolution aux causes multiples est forcément mal vécue au sein d’une structure qui fonctionne depuis des années comme une entreprise alors que cela n’a jamais été sa véritable nature. Il y a une mutation en cours, que l’équipe semble avoir du mal à percevoir, mais il suffit de voir les parutions de 2010 et le programme du 1er semestre 2011 (Ruppert & Mulot, Claire Braud, Benoît Guillaume, Mahler, Matthias Picard, Conrad Botes, Christian Rosset avec un disque reprenant ses émissions de France-Culture, sans oublier Lapin ni ma propre Thèse) pour constater que même quantitativement à la baisse, la ligne éditoriale ne dévie pas d’un pouce, et que l’on peut difficilement m’attaquer sur ce plan. En revanche, on peut m’attaquer sur mon manque de faculté au dialogue et aux relations humaines, et on aura raison : je n’ai jamais caché que ce n’était pas mon point fort.
8) Le lundi 10 janvier 2011 à 12 h 45, l’ensemble de l’équipe se présente devant mon bureau, Nicolas Leroy prend la parole pour me dire que les salariés entrent en grève, occuperont les locaux dès leur retour de déjeuner, et ne souhaitent pas ma présence lorsqu’ils occupent les locaux. Cette annonce de grève a été effectuée sans aucun préavis ni avertissement, vis-à-vis du Bureau ou de moi-même. Le premier communiqué part en masse. Il est calomnieux : le Bureau est qualifié d’“absent” (alors que la présidente Patricia Perdrizet ainsi que la Secrétaire Générale Zab Chipot s’affairent depuis des semaines sur le sujet et ne se sont quasiment plus occupé que de cette affaire depuis le 10 janvier - et je tiens à dire au passage que le Bureau, bénévole et compétent, a toujours été au service de la mission de L’Association) ; il est injuste : je deviens un “directeur non salarié aux responsabilités floues” (alors que si je suis non salarié c’est bien que j’ai été le premier à me faire licencier pour alléger la structure) et on appelle à retrouver la “chouette vieille Association” comme si la ligne éditoriale avait changé (à moins qu’on exprime ici le fantasme de revenir à la production de 40 titres par an, ce qui est impossible). J’ajoute qu’à cette date, aucune procédure de licenciement n’a été engagée puisque notre annonce visait avant tout à discuter des souhaits individuels de chacun, des conditions d’accompagnement dans le cas de départs et d’une anticipation d’une réduction progressive de la masse salariale sur l’année 2011. Les revendications demandent à voir les comptes, la convocation d’une AG Ordinaire, et donc, remettent en cause ma légitimité morale et celle du Bureau. Vu la gravité des événements, notre Présidente se tourne vers notre Avocat : n’oublions pas que je n’ai personnellement plus aucune responsabilité juridique dans L’Association et que toute la responsabilité civile se place sur les épaules de la Présidente Patricia Perdrizet et de la Trésorière Laetitia Zuccarelli. Le soir même à 19 h et les soirs suivants, je ne constate aucune “occupation” des locaux.
9) Le 12 janvier, une première réunion de concertation a lieu entre les Salariés, l’Expert-Comptable, la Présidente et la Secrétaire Générale. Il y est notamment dit par l’équipe que celle-ci se rendra normalement à Angoulême. Il est convenu d’une nouvelle réunion pour la présentation des comptes 2010 entre eux et l’Expert-Comptable Camille Lawson-Body : malheureusement celui-ci subit la disparition de son père, et doit se rendre deux semaines au Togo, ce qui reporte probablement ladite réunion à après Angoulême, et agace les Salariés.
10) L’affaire de la grève prend des proportions énormes, la presse s’active, et une pétition est lancée, relayée en de nombreux sites, qui recueille de très nombreuses signatures. Malheureusement, le succès de cette pétition est essentiellement dû à la malhonnêteté de son texte et de son intitulé : “Longue vie à L’Association”. La plupart des signataires croient sauver une structure en péril, ou combattre une injustice, alors qu’ils ne font que participer à un épisode interne de la structure, hypothèse précisément élaborée pour pérenniser ladite structure ; et épisode qui n’avait nullement à être porté sur la place publique. De très nombreux signataires se rendent compte a posteriori avoir été abusés par cette pétition hypocrite. Les Salariés lancent des demandes d’Adhésions en masse, dans le but de réunir des troupes pour une AG Ordinaire, ou pour les prévoir comme Membres d’Honneur éligibles. Les Salariés semblent vouloir devenir une “association loi 1901” normale”, avec ses centaines d’adhérents qui définiraient la politique, voire la ligne éditoriale de L’Association, alors que ce qui fait la particularité de L’Association depuis vingt ans est d’être atypique. Par ailleurs, ce qui distingue fondamentalement une association d’une société est exprimée à l’article 1er de la loi fondamentale sur les association : l’absence de finalité lucrative de ses fondateurs, ce qui a toujours été absolument le cas. Il est exact que les Statuts de 1993 laissent à désirer, et que vu la masse de travail et de soucis, il n’a pas été convoqué d’AG depuis 2007 (et non 2005 comme le dit le communiqué - mais le PV de celle de 2007 n’a jamais été fait). Ces carences doivent être résolues, cette organisation doit être clarifiée et passer à l’âge adulte. Même si le fonctionnement de L’Association est loin d’avoir été irréprochable, on peut constater qu’il a néanmoins permis de réaliser plutôt exemplairement ce pour quoi la structure avait été créée, et ce depuis vingt ans : un Catalogue de Bande Dessinée irréprochable.
11) La Présidente Patricia Perdrizet reçoit sous pli recommandé de la part des Salariés Grévistes les lettres d’Adhésion et de demande d’Assemblée Générale de Killoffer, Lewis Trondheim et David B, soit trois fondateurs démissionnaires de L’Association. Une connivence salariés / ex-fondateurs et une tentative pour m’écarter de la structure semble, à ce stade, fortement crainte.
12) Face à cette crainte de “putsch”, et pour sauver le plus rapidement possible la structure de toutes dérives et spoliations, le Bureau (la Trésorière exceptée), l’Avocat, accompagnés de divers amis et conseils, organisent une réunion de crise afin de travailler sur une nouvelle gouvernance, pérennisant notamment un “conseil des sages”, aux compétences et à l’expérience reconnus, garant de la bonne gestion de L’Association et séparant clairement la politique éditoriale de la gestion administrative et financière. Comme les statuts le prévoient, une liste des Membres d’Honneur serait arrêtée par le Conseil d’Administration, les statuts modifiés par ceux-ci en AG Extraordinaire et une AG Ordinaire tenue dans la foulée pour présenter les comptes 2010 et le prévisionnel 2011. La Trésorière, convoquée à cette réunion, mais estimant cette AGE irrégulière, avait pris l’initiative d’amener dans le cabinet de notre Avocat (plus tard raillé pour jouxter Matignon) une trentaine de personnes parmi lesquelles la totalité des Salariés, divers inconnus, des proches de L’Association, et des auteurs, dont David B, Lewis Trondheim, Killoffer, et Joann Sfar qui à la surprise générale s’exprime ardemment comme porte-parole des auteurs de L’Association, ce qui vu ses liens avec la structure depuis cinq ans ne manquait pas de sel. La confrontation est pénible mais se passe sans heurts. L’après-midi même, les Salariés avaient convoqué les Auteurs de L’Association à l’Espace Confluences où ils leur ont expliqué leur point de vue et où ils ont évidemment dénoncé cette “Assemblée secrète” comme “illégale” (ce qu’elle n’était pas). Face à mon absence (à laquelle je n'étais pas convié), la majorité des Auteurs dont je suis l’éditeur se sent pris entre deux feux et ne comprend rien à la situation. Je reçois tellement de demandes d’explication de la part des Auteurs que je ne peux pas y satisfaire, d’autant que nous sommes désormais dans une bagarre sociale et juridique et qu’il m’est interdit de craquer, tout cela à quelques jours du Festival d’Angoulême.
13) Le Directeur des Belles Lettres, notre nouveau diffuseur, s’alarme des événements : en effet, voilà à peine quelques semaines que nous avons signé chez lui, suite à la fermeture du Comptoir des Indépendants, intervenue en novembre. Il faut préciser que les Belles Lettres ont créé un secteur de Bande Dessinée Indépendante, issu de l’essentiel du catalogue du Comptoir (et reprenant ainsi les postes de 4 représentants) uniquement parce que L’Association, plus important éditeur de ce catalogue, a accepté cette solution. Si je n’avais pas accepté personnellement cette solution, ces postes et de nombreuses structures éditoriales se seraient retrouvés en difficultés. La grève met donc également la structure en délicatesse par rapport à notre nouveau diffuseur et à tout ce nouveau secteur.
14) Le lundi 24 janvier, face à la dégradation de la situation, une réunion bipartite avec un médiateur indépendant, expérimenté et impartial, proposé par la Présidente, est fermement refusée par les Salariés. Le mardi 25, un déjeuner informel entre l’équipe, la Secrétaire Générale et moi-même est également rejeté. Je décide de passer seul ensuite au local pour tenter de dialoguer au sujet d’Angoulême, de façon à tenter une “armistice” afin que le Festival se passe au mieux. L’ensemble des Salariés me déclare que les précédentes revendications n’ayant pas été satisfaites, une discussion sur Angoulême est superfétatoire. Face à l’impossibilité de dialogue, je quitte rapidement les lieux.
15) Jeudi 26 janvier, premier jour d’Angoulême, les palettes de livres ont bien été amenées sur place par le transporteur, mais elles sont disposées au milieu du stand, et les livres ne sont pas déballés. Une grande banderole “salariés en grève” surplombe le stand, et à la place des livres figurent des tracts, qui reprennent l’essentiel des communiqués précédents. Si les Salariés tiennent à affirmer qu’ils ne sont pas eux-mêmes à l’origine de la pétition et du blog de soutien “Longue vie à L’Association”, ils ne peuvent nier que cette action purement médiatique est de leur fait et bien concertée. Bonne aubaine pour la presse qui s’empare évidemment de l’affaire pour la monter en épingle, affaire qui devient quasiment le principal sujet de discussion de cet Angoulême 2011. Le coût du stand, les transports, l’hôtel, le transport aller-retour pour les palettes, le manque à gagner des ventes non effectuées, représentent un préjudice financier énorme. Sans parler des déclarations sociales et fiscales non effectuées par le comptable au 15 janvier pour cause de grève, mais passible d’apporter de copieuses amendes à la structure.
16) Ayant moi-même une parution d’importance (“La Bande Dessinée et son Double”, Thèse de Doctorat soutenue à la Sorbonne le 8 janvier) et devant donner le vendredi 28 une conférence sur le sujet, je m’étais inquiété avant le départ de la disponibilité du livre à Angoulême. On m’avait prétendu qu’un problème technique l’en empêcherait. L’imprimeur italien que j’avais contacté directement m’avait dit qu’au contraire, le livre était prêt et bloqué depuis dix jours. J’avais alors été contraint d’en faire venir de mon côté quelques exemplaires à Angoulême. Je vais régulièrement en chercher et le distribue dans la ville. Cela me ramène plus de 25 ans en arrière, lorsque je distribuais mon premier fanzine dans la rue, sauf que c’est ma Thèse. Pendant ce temps à Angoulême, aucun livre de L’Association n’est disponible sur le stand. Je ne mets pas un pied sous les bulles et répond dans la ville aux questions d’un nombre incalculable d’Auteurs, journalistes, organisateurs, sympathisants, la plupart abasourdis et consternés par la situation.
17) Le vendredi 28, l’auteur Benoît Jacques réussit à faire renouer un dialogue entre deux représentants de l’équipe, Marie Chesnais et Nicolas Leroy, face à moi-même et la Secrétaire Générale Zab Chipot. Sont également présents d’autres personnes s’étant positionnées comme “conciliateurs” : June Misserey, Morvandiau, Jochen Gerner, José Parrondo. Malgré les dissensions, une sorte de “pacte” est défini : l’équipe désire le calendrier précis des futures AGE et/ou AGO, le fichier du prévisionnel 2011, le fait que la liste des Membres d’Honneur soit définie en commun, et la connaissance des nouveaux Statuts. Suite à cette conciliation, et à la réception de l’état des comptes prévisionnels 2011, envoyés depuis Paris par la Présidente (alors que l’Expert-Comptable ne les avait pas encore achevés ni officialisés), les Salariés font le geste, samedi 29, de sortir sur les stands quelques livres des auteurs invités présents.
18) Je suis choqué au-delà de toute mesure par cette grève médiatique, surtout en pensant aux Auteurs. L’Association a été crée par et pour des Auteurs, pas pour qu’à cause de malheureuses circonstances d’économie interne, ces mêmes Auteurs se retrouvent spoliés de la présence de leurs ouvrages à Angoulême. Je pense particulièrement au “mini-Lapin 44 bis”, opuscule qui devait faire l’objet de la carte de vœux de L’Association 2011, pour lequel une trentaine d’auteurs de la “nouvelle génération” ont réalisé gracieusement des planches avec enthousiasme, et dont l’impression et la publication ont été annulés.
19) Au retour d’Angoulême, les actions continuent : le vendredi 4 février, un “pot de soutien” aux Salariés en grève a lieu à la librairie Le Monte-en-l’Air où est organisée une “cagnotte” au profit des grévistes ; puis une vente aux enchères d’originaux d’Auteurs de L’Association, invités à donner une planche, toujours au profit des grévistes, est également lancée par un autre comité de soutien.
20) Le jeudi 3 février, dans la foulée de la médiation d’Angoulême, la présidente Patricia Perdrizet envoie aux Salariés un mail acceptant et explicitant la totalité des revendications mises par écrit le 28 janvier (dont la plupart n’étaient pas recevables juridiquement). Néanmoins, la lettre n’est pas jugée acceptable, et la grève n’est toujours pas levée.
21) Le mardi 8 février, l’équipe salariale convoque le Bureau et l’Expert-Comptable dans les bureaux de leur propre Avocat (à cent mètres des locaux de celui de L’Association) dont le nom n’est pas donné à l’avance. Quoique non convié, je décide de participer à cette réunion. La Secrétaire Générale annonce au préalable mon arrivée, qui est acceptée. Les Salariés ont demandé à deux amis Auteurs d’être “témoins” : Emmanuel Guibert et Gila. Camille Lawson-Body expose les comptes provisoires de 2010. Il signale notamment une perte de 150.000 euros due à la fermeture du Comptoir. Marie Chesnais lui oppose que sans cet accident, 2010 ne serait pas en baisse par rapport à 2009. L’Expert-Comptable rappelle la baisse considérable du chiffre d’affaires entre 2007, 2008 et 2009, ainsi que le déséquilibre structurel entre les revenus et les charges. La discussion s’engage sur la législation des associations loi 1901 et sur nos statuts. L’équipe produit une liste de Membres d’Honneur qui est celle que nous connaissons (datant de près de dix ans et jamais entérinée en AG ; dite des “SP” - Service de Presse - et qui correspond en réalité à la liste des personnes qui reçoivent gratuitement les ouvrages édités à L’Association ; là où les statuts actuels prévoient que les Membres d’Honneur sont nommés pour “services rendus à l’Association” par le Conseil d’Administration), liste augmentée des auteurs apparus depuis, et de divers noms de sympathisants (ou de soutiens aux grévistes) : elle comporte en tout près de 200 personnes. Carmela Chergui précise péremptoirement, et contrairement à l’accord passé à Angoulême de la discuter en commun, qu’il nous sera impossible de rayer aucun nom de cette liste. à une remarque de la Présidente comme quoi le futur Conseil d’Administration devra être réellement compétent, la même Carmela Chergui répond qu’eux aussi connaissent des gens compétents et “qu’ils ont un programme”. La Présidente confirme que les licenciements sont gelés, et une date d’Assemblée Générale est fixée au samedi 5 mars : les deux Avocats doivent se contacter pour parler des détails de cette Assemblée. Suite à ces informations, les Salariés s’engagent à lever la grève le lendemain 9 février, ce qu’ils feront effectivement.
22) Après cette réunion, une discussion informelle s’établit entre Emmanuel Guibert, Gila, Zab Chipot la Secrétaire Générale, et moi-même. Les deux médiateurs trouvent la réunion positive et sont optimistes. Gila estime que si le Bureau, les Salariés et moi-même réussissons à nous entendre ensemble sur les noms des membres du Conseil d’Administration, les parties pourraient réussir à s’en sortir. Emmanuel Guibert ajoute que ce futur C.A. doit être réellement actif, compétent et présent, ce qui me semble faire consensus avec les souhaits exprimés par l’équipe. Gila fait part dans un e-mail adressé aux Salariés de l’incontournabilité à ses yeux de se mettre d’accord ensemble sur le C.A.
23) Le jeudi 10 février, Emmanuel Guibert et Gila décident de reparler avec les Salariés au local, et m’y convient. Après avoir refusé dans un premier temps, me sentant encore en faiblesse et en colère contre le “groupe”, j’accepte de m’y rendre. Je parviens à garder mon sang-froid et à garder mes reproches pour moi. Les trois heures de discussions soulèvent de nombreuses rancoeurs mais restent calmes. Il y a des échanges positifs, mais je suis choqué par plusieurs choses. On m’intime, assez fermement, de reconstituer un comité éditorial éxécutif (pas même un comité de lecture, mais un comité où les projets seraient soumis au vote). Je m’élève contre cette idée : c’est la première fois que les Salariés s’avancent sur le terrain de l’éditorial. Je fais valoir mon bilan éditorial depuis 2006, date à laquelle je suis devenu seul décisionnaire, et affirme que je ne suis pas prêt à risquer de nouveau le type de querelles vécu avec le groupe des Fondateurs. Ensuite, Carmela Chergui refuse que le C.A. soit discuté en amont mais au contraire que plusieurs projets puissent être soumis au vote d’une assemblée composée de tous les Membres d’Honneur qui auront souhaité se présenter - ce qui est complètement contraire à la façon qu’a eu L’Association de fonctionner depuis sa création (et ce qui réfute également la proposition du médiateur Gila). La discussion commune autour d’un C.A s’annonce improbable : on me fait savoir que le nom d’Etienne Robial, par exemple (pressenti pour être dans le futur C.A, personnalité inattaquable, non seulement de par son parcours et sa connaissance du Métier du Livre, mais aussi parce que sans lui et Futuropolis, L’Association n’aurait tout simplement pas existé) ne serait pas pris en considération, car “il ne connaît pas l’équipe”... Malgré mon bouillonnement, je reste stoïque. Redialoguer avec certains membres de l’équipe m’a fait plaisir et soulagé, mais sur l’essentiel, je demeure fort perplexe.
24) Puis, après le départ de tous, ce même 10 février, j’ouvre ma messagerie et découvre le Communiqué que les Salariés ont envoyé à tout le monde pour annoncer la levée de la Grève. Je suis atterré. Le Communiqué est encore plus vindicatif que celui de l’annonce de la mise en grève. Il affirme notamment que j’aurais déclaré que la décision des licenciements émanait d’une nécessité “philosophique”. Il s’agit d’une réduction caricaturale et diffamatoire de ma position, exprimée dans ce texte au point 7, et largement développée oralement dans le bureau de l’Avocat des Salariés. Me voilà donc devenu, après tant d’autres calomnies, celui qui vire des gens par “philosophie”. Visiblement, si la grève est levée, la guerre ne l’est pas. Juridiquement, il y a plus grave encore que cette agression : ce Communiqué donne l’ordre du jour de l’A.G. du 5 mars, or non seulement ce n’est pas aux Salariés de le faire, mais au Bureau ; mais de surcroît les deux Avocats devaient s’entendre préalablement à ce sujet. Le fait qu’on y affirme que “la liste des Membres d’Honneur y sera actualisée et validée” est en contradiction même avec le “pacte” d’Angoulême qui demandait à ce qu’elle soit “réfléchie en commun”. Le communiqué finit sur la question de la rémunération des jours de grève des Salariés, qui ne semblent absolument pas réaliser le préjudice économique et moral qu’ils viennent de faire subir à la structure.
Tout se passe comme si l’escalade des revendications ne pouvait plus s’arrêter. Désormais, cette équipe salariale donne l’impression de vouloir tout contrôler à l’Association, même ce qui ne relève absolument pas de ses prérogatives, et prétend même influer sur l’éditorial. Face à ces constatations inquiétantes, la levée de la grève devient un problème presque secondaire.
Nicolas, Fanny, Eric, Carmela, Marie, Mokeït, Philippe : vous n’êtes pas venus à l’Asso par hasard : pour vos compétences d’abord, pour participer à une Utopie ensuite. Comment une Utopie peut-elle mener à une telle catastrophe ? Comment peut-on en arriver à une telle perte de vue du projet fondamental ? Certes, au cours de la crise qui a précédé, des erreurs ont été faites des deux côtés, mais L’Association ne mérite pas un tel gâchis. Et les derniers épisodes (annonce d’autres “programmes”, volonté d’élections “normales”, ingérence dans l’éditorial) ne me rendent pas franchement optimiste. Si la majorité des Auteurs est dans l’expectative et l’incompréhension, tiraillée entre l’affection qu’elle a pour vous, et (j’en ai eu suffisamment de témoignages) la reconnaissance qu’elle a pour mon travail d’editeur, de nombreux Auteurs et Amis me témoignent que L’Association sans moi n’est plus L’Association. Aujourd’hui, ce sont eux que je ne voudrais pas décevoir.
L’éternel problème de L’Association a toujours été de mélanger le professionnel et l’affectif (et d’ignorer le juridique). Cette confusion, qui a fait une grande partie de son charme et de son anti-conformisme (mais aussi la source de sa longue série de querelles) devient l’essentiel de ce qui la menace aujourd’hui. On peut dire que cette grève et la crise qui l’a précédée ne représentent que le paroxysme de trop anciens dysfonctionnements de la structure, ni vraiment entreprise, ni vraiment association, qu’il faut résoudre d’urgence. Les problèmes de gouvernance et d’organisation ne peuvent plus être traités à la légère quand la récession est là. Et le juridique ne peut plus être abonné absent lorsque la structure est menacée, et ce par ses employés même. Employés qui prétendent vouloir la pérennité de la structure mais qui par leurs actes, lui ont porté un préjudice sans précédent (et par ricochet, à toute l’édition indépendante, faisant la joie de tous les thuriféraires du mainstream et de nos éternels contempteurs) ; sans compter quelques charognards aux aguets, à qui cette fragilisation (dûment orchestrée), ne peut que profiter.
Tout cela ne valait pas un tel désastre, qui a mis tant de personnes dans le malaise et le tourment, pour ne pas dire le dégoût. Cela ne valait pas non plus une telle diabolisation du Bureau qui a été exemplaire dans cette affaire ; ni, pardonnez-moi, un tel lynchage médiatique de ma personne, désormais stigmatisé comme immonde “patron-voyou” (quant à certains qui m’ont comparé à Ben Ali ou autres ordures politiques, je leur dirai que je préfère être un humble Dictateur éditorial et Graphique qu’un éminent détrousseur de cadavres).
Patron, je ne l’ai jamais été, et je ne le serai jamais. Seuls m’intéressent les Auteurs, les Livres, et le Catalogue, et je continuerai quoi qu’il en soit à faire vivre cette structure inimitable, dont je revendique le Projet de base, l’Histoire, et l’Avenir, et qui s’appelle L’Association.
Oui à ceux qui croient au Projet, à l’Idéal et à l’Avenir de L’Association.
Non à ceux qui sous prétexte de la “défendre”, sont en train de la détruire.
Longue vie à L’Association !
Jean-Christophe Menu, 13 février 2011.
> en téléchargement ici.
2 commentaires:
Je suis ça d'assez près, je suis curieux de savoir comment cela va finir.
je n'en ai vraiment aucune idée...
ils vont licencier, faire moins de livres, etre moins présents sur les étales des libraires et redevenir la petite structure qu'il était au début, en attendant que Sammy Stein signe chez eux e qu'il puisse vivre comme du temps de Persepolis.
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