Le livre, téléchargeable ici dans sa version intégrale, est une suite de portraits, disposés de façon chronologique sur une centaine de pages. On passe des skinheads londoniens des années 80 aux punks des wagenburgs de Kreuzberg/Firedrischain à Berlin dans les années 90.
Ralf Marsault a lui-même habité ces wagenburgs, sorte de "campements alternatifs de caravanes de chantier et de camions" qui se sont implantés le long du mur de Berlin juste après sa chute, et dont certains sont encore aujourd'hui habités. Il rapporte d'ailleurs l'existence et les parcours de ceux qui ont choisi ce mode de vie dans un livre qui vient de paraitre aux Presses du Réel : "Résistance à l'effacement, Nature de l'espace et temporalité de la présence sur les wagenburgs de Berlin entre 1990 et 1996".
Cet ouvrage est en fait la version remaniée d'une thèse d'anthropologie soutenue en 2007 à Paris 7 sous la direction de Jean Arlaud.
Et, c'est bien cet aspect scientifique qui est trop peu connu du travail de Ralf Marsault. Bien souvent, on considère à tort ses images comme de simples témoignages d'expériences singulières de vie, or, plus que des façons de donner à voir des choses inconnues ou mal interprétées, Marsault met en scène "le souvenir de [ceux] qui se laissent flouer par la mémoire".
Je viens tout juste de me procurer ce livre, et je n'ai pour l'instant lu que la préface écrite par Jean Arlaud lui-même. Je vous recommande fortement la lecture de ce très beau texte, qui permet au lecteur de "comprendre" et d'aborder le travail de Ralf Marsault. Cette thèse ne se lit en effet pas comme les autres travaux académiques de la discipline, bien que l'apport scientifique en soit incontestable.
Ceux qui connaissent ou ont connu le rapport institutionnel et scolastique du travail de thèse, apprécieront la lecture de cette introduction...
Ceux qui connaissent ou ont connu le rapport institutionnel et scolastique du travail de thèse, apprécieront la lecture de cette introduction...
De façon sans doute trop attendue mais néanmoins sincère, Arlaud revient sur sa rencontre avec Ralf Marsault dans son bureau de l'Université Paris Diderot, à l'époque ou celui-ci souhaitait entreprendre un travail de thèse :
Il est des rencontres improbables ; on ne peut imaginer qu’elles seront porteuses, un jour, d’une aventure partagée dont on sera le premier bénéficiaire. Ce fut le cas pour moi avec Ralf Marsault.
J’accueillais chaque année des postulants à une formation universitaire de troisième cycle devant déboucher sur un doctorat à l’U.F. d’ethnologie de l’université de Paris 7-Denis-Diderot, créée à la croisée des disciplines, dans l’élan de 68, par Robert Jaulin, dans un esprit de liberté et de pensée jubilatoires. Pour la plupart, le trajet de ces candidats était loin d’être rectiligne : les cursus s’emmêlaient et aucun n’avait réellement abouti. Ces étudiants de la dernière chance avaient été réfractaires, sans le vouloir vraiment, au modèle universitaire, et l’anthropologie, aux contours mal définis, ouvrait sur des ailleurs propices à des interrogations sur d’autres relations au monde que celle d’un Occident frileux, replié sur lui-même. Les lettres de motivation qui leur étaient demandées manifestaient, en creux, maladroitement parfois, une quête de sens existentiel que la traversée de cultures autres que la nôtre pouvait soutenir et relancer. Parmi ces lettres, celle de Ralf Marsault retint particulièrement mon attention par le poids d’existence dont elle était porteuse, par l’élégance d’une culture et d’un style bruts de tout vernis convenu, qui procédaient plus d’une nécessité intérieure que d’un apprentissage en conformité aux standards d’une pédagogie passivement subie. J’imaginais déjà un voyageur sans bagage, aux mains nues, muni pour seul viatique d’une avalanche de séquences de vie chapardées tout au long de ses chemins d’errance.
Ma curiosité était à son comble, et, toutes affaires cessantes, je convoquai ce postulant singulier. Il se présenta à l’université tel qu’en lui-même, marqué des signes d’appartenance à la communauté punk dont il voulait témoigner. Dès le premier contact, j’eus l’intuition que mon bureau n’était pas le lieu idéal pour cette rencontre. J’attendais de cet entretien inaugural que puisse émerger en toute liberté, de part et d’autre, hors des murs de l’institution, une parole vagabonde dans la fraîcheur première de l’instant. Je proposai d’aller boire un verre dans un café voisin. La conversation prit des chemins insoupçonnés. Il fut très peu question d’ethnologie, mon propos n’étant pas de mettre à l’épreuve ses connaissances dans le domaine. De son côté, il n’avait rien préparé pour donner le change à partir de son savoir épars d’autodidacte. J’étais plus à l’écoute d’un désir, d’un imaginaire en action, d’un questionnement sur un monde traversé de passerelles tendues vers des zones obscures d’altérité.
extrait de la préface écrite par Jean Arlaud. Disponible ici.
Je ne peux bien sur pas parler d'un travail que je n'ai pas encore lu, mais déjà, l'existence de ce livre va permettre, je crois, de dépasser la simple contemplation des clichés de Marsault pour restituer, au-delà de son regard, ses sentiments sur ce passé magnifié. Une publication qui vient conférer une dimension plus profonde à ce travail photographique dont on ne reconnait généralement que l'immédiate esthétique.
6 commentaires:
"...qui longeaient le mur de Berlin il y a encore quelques années."
>Non non, ça existe encore !
En tout cas, j'irais bien lire ce livre quand j'aurais fini la dizaine de livre que j'ai en retard...
Sans parler ou comparer les propos, le mélange photo portrait/témoignage socio me fait penser à ce livre (que je n'ai toujours pas fini)
"Pourquoi êtes vous pauvres?"
de William T Vollmann. Bien que là, la pauvreté soit, bien sur, subie, alors que dans les wagenburgs, la vie alternative est souvent choisie (bon, c'est pas aussi simple que ça,je ne voudrais pas résumer, alors j'arrête...)
http://livres.fluctuat.net/william-vollmann/livres/pourquoi-etes-vous-pauvres/
c'est bon, j'ai corrigé.
je ne connaissais pas ce livre, je vais regarder ça.
merci sammy !
je peux te le prêter si tu veux, je viens de retomber dessus.
Sacré CRASS !
Gavroch vous salut.
Ralph
Je t'embrasse bien fort vieux frère
Scody ist so süß!!!
Enregistrer un commentaire